A l’occasion de la messe des missions, le dimanche 17 août, Monseigneur Claude CESBRON nous a livré l’enseignement qui suit.
Une occasion de nous pencher à nouveau sur des paroles dont une partie du sens peut nous avoir échappé lors d’une première écoute !
VINGTIÈME DIMANCHE ORDINAIRE (A)
HOMÉLIE
Avant cette rencontre dans la région de Tyr et de Sidon, Jésus vient d’avoir une sévère altercation avec les Pharisiens et les scribes de Jérusalem : « Hypocrites, leur lance-t-il, Isaïe a bien prophétisé à votre sujet : ‘Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi’ » (15, 6). Puis devant ses disciples, il traite ces mêmes Pharisiens et scribes d’aveugles. Et enfin et surtout, il donne sa vraie dimension à la loi du pur et de l’impur : « Ce qui sort de la bouche provient du cœur, et c’est cela qui rend l’homme impur » (15, 11). Les Pharisiens et les maîtres de la loi avaient multiplié toutes sortes d’interdits alimentaires et sociaux. Souvenons-nous, entre autres, de la parole de Pierre dans la maison du centurion romain, Corneille : « C’est un crime pour un Juif que d’avoir des relations suivies ou même quelque contact avec un étranger » (Ac 10, 28).
A ce point du récit de saint Matthieu, comment ne pas penser que Jésus éprouve une forme de déception devant l’hostilité croissante des meilleurs des fils d’Israël que sont les pharisiens et les scribes, alors qu’à ses disciples, quelque temps auparavant, il disait : « Allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël » (10, 6). Plus tard, dans Jérusalem, quand s’exacerbe son conflit avec ces mêmes chefs du peuple, Jésus exprime une peine profonde : « Jérusalem, Jérusalem, … que de fois j’ai voulu rassembler tes enfants comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes et vous n’avez pas voulu ! » (24, 17).
Il est bon de garder en mémoire ces éléments pour comprendre le récit que nous venons d’entendre. Devant l’hostilité qui croit – les Pharisiens ont déjà tenu conseil contre Jésus sur les moyens de le faire périr (12, 14) – le Christ décide de passer en territoire païen, dans le sud du Liban actuel où les villes de Tyr et de Sidon existent toujours. Tout se passe comme si, là, Jésus donnait à sa mission une dimension universelle. Une femme, cananéenne, païenne, le supplie : « Aie pitié de moi, Seigneur, Fils de David ! Ma fille est cruellement tourmentée par un démon. » Jésus semble rester indifférent et il rappelle une nouvelle fois à ses disciples qu’il a été envoyé aux brebis perdues de la maison d’Israël. Mais la femme se prosterne et crie son désarroi. Et Jésus persiste : le pain pour les enfants et non pas pour les petits chiens (il n’était pas rare que les Juifs appellent les païens, chiens).
Et la femme, avec beaucoup de finesse et d’humour, répond qu’elle se contentera des miettes qui tombent de la table des maîtres. Alors, dans cette parole, Jésus reconnaît la foi de la cananéenne : elle l’a reconnu comme Seigneur et elle implore son secours. Peut-être Jésus a-t-il suscité ce dialogue pour la conduire jusqu’à la foi. Mais, du même coup, lui-même, ouvre son cœur aux païens : la bonne nouvelle est destinée à tous.
Cette rencontre est décisive pour la vie de l’Eglise. D’abord les premières communautés, composées pour nombre d’entre elles de juifs convertis, ont connu des débats vifs et intenses sur l’accueil des païens, au point que Paul, Pierre et les autres apôtres durent prendre une décision commune d’ouverture à tous ceux qui accueilleraient l’évangile de Dieu.
Décisive pour la mission, l’Esprit est présent au cœur de chaque être humain. A travers les méandres de sa vie, il le prépare à la rencontre du Fils de l’Amour de Dieu. Dans sa rencontre avec l’autre, le missionnaire est invité par le Seigneur lui-même à mettre à jour cette quête de la vérité. Il est convié à ne pas rabougrir la foi à quelques mots ou à quelques attitudes, mais, comme le Christ, à deviner que le désir de vivre, la volonté de se sortir des ornières du mal, l’appel à la guérison, la soif de se mettre debout sont la foi.
Décisive pour chacune de nos communautés et pour l’Eglise universelle : toute tentative de repli, toute tentative de ségrégation par le rite, par la langue, par la couleur de la peau font courir un risque sectaire mortel. Prions donc l’Esprit Saint, qui, par la richesse de ses dons, crée la diversité et forge l’unité, de rendre nos communautés et toute l’Eglise attentives à la cananéenne d’aujourd’hui qui implore.
Mgr Claude CESBRON